Canard boiteux

Comme tous les canards sont plus ou moins boiteux dans leur démarche naturelle, on peut se demander pourquoi une quelconque vindicte s'attacherait à l'un d'eux en particulier. L'expression, de plus, est curieusement absente de tous les dictionnaires. Si Littré l'ignore, c'est probablement que le  canard boiteux s'est répandu après lui, c'est-à-dire vers la fin du XIXe siècle ou au début du XXe.
Le mot pourrait venir de l'anglais a lame duck dont il est la traduction littérale. A lame duck est une expression qui trouve son origine dans la finance britannique, plus précisément dans le monde de la Bourse où elle désigne un marchand de titres incapable de payer ses dettes, et par extension tout spéculateur insolvable.
Cela, paraît-il, et sous toute réserve, à cause de la démarche vacillante d'un tel individu obligé de quitter le Stock Exchange honteusement dépouillé, sous le regard de glace de ses impitoyables collègues.
La locution est commune outre-Manche. Cela dit, il faut aussi remarquer qu'en anglais, le mot lame a plutôt le sens de « boiteux par accident » ; un autre mot désigne la démarche ordinaire et dandinante du canard : to waddle. A lame duck serait donc plus exactement un canard « blessé, éclopé ». L'image prend vraisemblablement sa source non dans l'animal de basse-cour, mais dans les fameuses chasses au canard sauvage, fort goûtées justement par l'aristocratie britannique du porte-feuille.
C'est en passant au français que l'expression aura pris, par le hasard d'une traduction littérale, cette redondance à effet cocasse qui a assuré sa fortune. Il est possible aussi qu'un croisement se soit produit avec la notion, semble-t-il traditionnelle, de « cheval boiteux ». G. Esnault signale pour 1881 « pas de pitié pour les chevaux boiteux ». L'influence de ce dernier a peut-être favorisé l'extension du sens à tous les traînards, les malhabiles et les malchanceux de toutes sortes que la vie, en effet, Il faut aussi se rappeler qu'un  canard désignant un journal vient du sens de « fausse nouvelle » qu'il avait au XVIIIe siècle : « Conte absurde et par lequel on veut se moquer de la crédulité des auditeurs. Cette nouvelle n'est qu'un canard », dit Littré qui rend compte du passage à la presse par l'acception suivante : « Se dit ironiquement de faits, de nouvelles, de bruits plus ou moins suspects qui se mettent dans les journaux ». 
Pourquoi cette mauvaise réputation ? Il existait préalablement et depuis le XVIe siècle l'expression « vendre un canard à moitié », pour mentir, faire accroire, laquelle en se raccourcissant est devenue « vendre un canard ». « Il est clair, précise Littré, que vendre un canard à moitié, ce n'est pas le vendre du tout, de là le sens d'attraper, de moquer ».