Conter fleurette

On connaît la chanson
« Quand pointe la pâquerette, 
Quand fleurit la primevère, 
C'est l'heure à conter fleurette,
À sa bergère »
Et Dufresnoy fait dire justement à sa bergère : 
« Quand un galant bien fait, de bonne mine,
Me conte fleurette, croit-on Que j'en sois chagrine ? » 
L'origine de cette locution est très controversée. Selon certains, il faudrait la voir dans conter fleuret - le fleuret  étant le bouton, pareil à un bouton de fleur, qu'on fixait au bout de l'épée pour en rendre la pointe innocente ; puis par extension, la lame elle-même. Conter ou parler fleuret, c'était aller sur le pré et se mesurer pour l'honneur... Mais loin d'être l'origine de la première locution, cette seconde, qui lui est de beaucoup postérieure (puisqu'elle n'est apparue qu'au XVIe siècle), en dérive par calembour. Combien de gentilshommes ont parlé ou conté fleuret, et même parlé épée - parce qu'ils contaient fleurette à la même belle ?!!
Lenoble, lui, la fait venir de ce qu'il y avait en France, sous Charles VI, une espèce de monnaie marquée de fleurs qu'on appelait fleurette. De sorte que conter fleurettes voudrait dire compter des fleurettes, c'est-à-dire donner de l'argent, chemin le plus court pour arriver au coeur des belles, comme dit La Fontaine... N'est-ce point ainsi que dans la mythologie antique, Jupiter, se métamorphosant en or liquide, et se coulant sous la porte de la chambre, comptait déjà fleurette à la belle Danaé ?...
Mais ici encore, qui ne voit que la locution compter fleurettes, si spirituelle qu'elle soit, est postérieure à  conter fleurettes - le doublet compter-conter (formes françaises, l'une savante, l'autre populaire, du latin  computare) ayant favorisé tout naturellement le calembour. Il serait plus naturel d'entendre au sens propre fleurette, qui comme fleur peut se prendre au figuré pour «jolie petite chose ». C'est ainsi que les Latins disaient rosas loqui et les Grecs rhoda eirein ou legein (« dire des roses », soit tenir des propos fleuris).
Au lieu de conter fleurette, on disait aussi fleureter. Et le moderne flirter, introduit dans notre langue vers 1855 et emprunté à l'anglais flirt, substantif (to flirt = railler, folâtrer), est devenu par sa prononciation et par son sens un homonyme de l'ancien fleureter. De là à en déduire que les jolies choses contées aux filles n'ont d'autre fin que les embobiner pour mieux folâtrer...