Filer un mauvais coton

« On dit proverbialement, Cela jettera un beau coton, pour faire entendre qu'une chose mal entreprise produira un mauvais effet & qu'elle sera désavantageuse à ceux qui l'ont commencée. Cette façon de parler, quoiqu'elle ait passé de la ville à la Cour, est basse & ridicule. » 
Tel était le sentiment de Furetière sur cette expression et c'est peut-être pour être moins ridicules que nous disons, depuis le XIXe siècle, filer un mauvais coton
Pierre Guiraud, suivant en cela Maurice Rat, donne ici une interprétation arboricole : « Filer un mauvais coton, être dans un mauvais état de santé ou d'affaires, s'explique par la forme primitive de l'expression qui est de jeter un mauvais coton. Jeter signifie émettre une sécrétion.
On dit par exemple jeter sa gourme qui est une sorte d'inflammation boutonneuse qui atteint les petits enfants [...]. Jeter un mauvais coton aura donc pu se dire d'un cotonnier qui produit des boutons maladifs, et coton aura entraîné la pseudo-motivation filer. »
Sans vouloir porter ombrage à l'éminente érudition de M. Guiraud, il est assez étonnant que les gens du XVIIe siècle, et le peuple de Paris de surcroît, se soient intéressés d'aussi près aux cotonniers, ces arbres exotiques d'Inde ou d'Egypte, au point de nommer, sans les avoir jamais vus, une de leurs maladies possibles, et d'en faire une locution courante...
Tout au plus pouvaient-ils savoir − Olivier de Serres le dit − que les cotonniers jettent du coton, et à la rigueur en faire une plaisanterie.
Une étoffe vieillissante jette en effet une bourre cotonneuse qui est la marque de son usure, et qui laisse prévoir des déchirures, des accrocs, bref une détérioration complète du tissu dans un proche avenir.
C'est là l'interprétation donnée par G. Esnault, lequel note aussi pour 1692 jeter un vilain coton. Par contre, il semble logique que le coton de la locution ait conduit à filer, peut-être à cause des premières machines défectueuses au XVIIIe siècle, peut-être aussi par attraction avec une autre expression courante et ancienne : filer sa corde, qui voulait dire se livrer à des activités qui ne pouvaient qu'entraîner une fin désastreuse.
Il y a là une parenté certaine, surtout au sens que relève Furetière de «chose désavantageuse à ceux qui l'ont commencée », qui a pu produire le croisement.


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