Bottes de sept lieues

Charles Perrault, Le Petit Poucet (1697)
Si le rêve d'une victoire conjointe sur l'espace et le temps est aussi vieux que l'homme, les progrès technologiques ont relégué au rang des mythologies enfantines les bottes de sept lieues, les sandales ailées de Persée, les talonnières d'Hermès ou la jument de Mahomet, dont les enjambées s'étendent aussi loin que peut porter la vue.
La lieue gauloise valait 1,5 mille romain. Le mille, cependant, variait du simple au double selon qu'on le calculait en pas (gradus) ou en pas doubles (passuus) : la lieue pouvait donc osciller entre 2,4 et 4,8 km... À l'époque de Perrault, la lieue de France est estimée à 3898 m, ce qui donne à l'ogre des enjambées de 28 km !
Perrault a explicitement fait de son héros l'ancêtre de nos facteurs. Le Petit Poucet, nouvellement chaussé après son aventure, devint le messager du roi dans les batailles lointaines et celui des dames séparées de leur amant. Il lui arrivait aussi de porter les lettres des bourgeoises à leur mari, mais plus rarement, car la course était mal payée : l'astucieux marmot peut donc être considéré comme l'initiateur de la grève postale pour revendications salariales !
Mais on peut aussi interpréter plus audacieusement ces bottes de sept lieues. Le rapport censé exister entre la longueur du pied et la longueur (ou la profondeur) des organes sexuels est un préjugé répandu depuis le Moyen Âge.
Les chaussures en ont hérité, comme le rappelle le couplet de Cadet Roussel qui attribue trois souliers au muscadin :
« Le troisième n'a pas de semelle, il s'en sert pour chausser sa belle... »
Est-ce d'une botte de ce genre que s'empare le Petit Poucet ? Bien des indices ont permis aux psychanalystes de se pencher sur l'inconscient de M. Perrault. Sans doute faut-il avoir l'esprit singulièrement mal tourné pour souligner qu'il n'y a pas de bottes de sept lieues qui fatiguent fort leur homme... Mais un rapprochement avec Le Chat Botté ne manque pas de pertinence. À peine l'animal a-t-il chaussé les bottes qu'il réclame, qu'il devient Maître Chat, acquérant la respectabilité et la hardiesse qui lui font défaut.
Dans les deux cas, il y a un cadet de famille, oublié dans la succession ou tenu comme quantité négligeable (considéré donc comme une fille juste bonne à servir un chat) aspirant à la domination, et y parvenant après s'être chaussé royalement. Coïncidence pour le moins troublante, pour un auteur qui fut lui aussi cadet d'une famille nombreuse, mais qui dépassa ses aînés sur la route de la gloire grâce à ses bottes de sept lieues.


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